Meriam Bousselmi nous invite à «cracher sur Kant et Hegel» Le génie féminin genre-t-il la pratique esthétique ?

Une scène du spectacle «Le Péché du succès» de Meriam Bousselmi © Djamel Bouali

Dans son nouvel article pour PLATEFORME, la chercheuse, auteure et metteure en scène tunisienne Meriam Bousselmi se demande si l’art peut être clairement genré. Une réflexion perspicace, non dénuée d’humour, sur des stratégies séculaires d’invisibilisation systématique, sur les notions de génie masculin dans l’art et la philosophie, et sur ses propres expériences dans le contexte germano-arabe.

 

par Meriam Bousselmi

 

Dans un court métrage conçu comme un essai cinématographique sur la notion de la représentation, co-écrit et co-réalisé en 2002 par le couple Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville sous le titre Liberté et Patrie[1], la narratrice Geneviève Pasquier pose une question : « Père, quelle est la bonne méthode pour savoir si quelqu’un est fréquentable ? » Jean-Pierre Gos, deuxième narrateur du film, lui répond : « Il faut lui demander : qu’avez-vous lu ? Et s’il te répond : Homère, Shakespeare, Balzac, l’homme n’est pas fréquentable. Par contre, s’il te répond : qu’entendez-vous par lire ? Alors tous les espoirs te sont permis »[2].

Ces éclairs de génie nous incitent non seulement à repenser nos représentations du langage et de la communication, mais nous invitent surtout à prêter plus d’attention à l’acte de lire et à nos pratiques d’interprétation. Il existe en effet différentes modalités de lecture et chaque œuvre peut être interprétée de différentes manières. L’Antigone de Sophocle[3] n’est pas l› Antigòn an Kreyòl (Antigone en créole) de l’Haïtien Félix Morisseau Leroy[4]. Et la réinterprétation féministe de Judith Butler d’une Antigone plutôt queer, qui transgresse à la fois les normes sociales du genre et de la parenté[5], conteste l’Antigone hégélienne[6], réduite à une figure d’opposition de la famille contre l’État. Les Antigones de George Steiner[7] témoignent ainsi de l’irréductible pluralité des lectures (im-)possibles d’une même œuvre. Montaigne va même jusqu’à affirmer que : « nous ne sommes que les interprètes des interprètes »[8]. Et il n’a pas tort, car toute œuvre, en tant que représentation, quand bien même elle serait antimimétique, porte en elle une interprétation subjective du monde et appelle à son tour une interprétation qui, elle aussi, ne peut être que subjective, contextuelle et située.

La comédienne Amal Ayouch dans «Le Péché du succès» de Meriam Bousselmi © Djamel Bouali

 

On pourrait même dire que chaque lecture recrée l’œuvre et peut l’amener à dire quelque chose qu’elle n’a peut-être pas forcément cherché à dire ou qu’elle aurait pu dire. C’est pourquoi, par exemple, alors que la critique d’art et écrivaine italienne Carla Lonzi, fondatrice du groupe Rivolta Femminile (Révolte féminine, 1970), nous  invite dans son célèbre livre «Sputiamo Su Hegel» (1981) à Cracher sur Hegel[9] en proposant une lecture déconstructrice de la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave et du marxisme, le jeune philosophe français Jean-Baptiste Vuillerod, quant à lui, propose dans son livre Hegel Féministe : les aventures d’Antigone (2020) une méthode de lecture qu’il appelle «une lecture en perspective«.  Il écrit : «lire Hegel dans la perspective du féminisme, c’est donc l’interroger à l’aune d’un problème contemporain qu’il n’avait pas envisagé en tant que tel. C’est lui poser des questions qu’il ne s’était pas posées lui-même, mais auxquelles sa philosophie peut apporter quelques réponses et sur lesquelles il peut donner des pistes de réflexion»[10]. Quant à Carla Lonzi, elle justifie son crachat sur Hegel par le fait que : « La femme ne se situe pas dans un rapport dialectique avec le monde masculin. Les exigences qu’elle commence à affirmer n’impliquent pas tant une antithèse que le fait d’évoluer sur un autre plan »[11].

Cela nous permet de tirer deux conclusions : Premièrement, chaque pratique de lecture d’œuvre artistique recèle autant de potentiel créatif que la pratique esthétique elle-même. Deuxièmement, il n’existe pas d’interprétation neutre et encore moins innocente, car chaque méthode de lecture implique des choix esthétiques et politiques qui ont un impact non seulement sur la réception, mais aussi sur la valeur même que l’on peut attribuer à une pratique esthétique. C’est à partir de cette grille de lecture que j’aimerais situer les réflexions suivantes sur la problématique déjà annoncée dans le titre de cet essai en ces termes : Le Génie féminin genre-t-il la pratique esthétique ? Une formulation certes assez problématique, que je me hâte de revendiquer comme ironique et provocatrice, appelant à son tour un effort de lecture. Autrement, comment lire et comprendre une expression comme «le génie féminin» ?

Une scène du spectacle «Le Péché du succès» de Meriam Bousselmi © Djamel Bouali

Praxis, Genre et Génie

J’ai écrit et mis en scène Le Péché du Succès[12] en 2013 pour dénoncer les lectures soupçonneuses d’une «féminité intelligente» dans le milieu du théâtre qui, contrairement à ce qu’on pense, n’est pas moins macho que les autres. «L’Histoire de l’Humanité est remplie de crimes contre les femmes, aussi bien en Occident qu’en Orient. Combien de femmes ont contribué à changer le cours du monde et n’ont pourtant jamais été mentionnées dans l’histoire ? Combien de réalisations ont été volées aux femmes et attribuées aux hommes ? Le problème est une question de reconnaissance. Même l’Europe a tardé à reconnaître les femmes et leur contribution à la construction du monde, comme si «le génie féminin» était en hibernation et ne s’était réveillé que tout récemment», déplorait la merveilleuse actrice et pharmacienne franco-marocaine Amal Ayouch[13] sur un ton délicieusement ironique dans le rôle de Dalal : une professeure d’art dramatique d’origine syrienne qui enseigne dans une université allemande, à en croire le personnage du Péché du Succès. Qu’entendait-elle par ce soi-disant «génie féminin», «retardataire» (Latecomer) de l’Histoire ?  Cela ne nous rappelle-t-il pas une autre grille de lecture de l’Histoire coloniale qui considère les Arabes et les Africains comme des «retardataires» (Latecomers) de la Modernité ?

La réponse ne peut être trouvée que dans la définition même de ce qu’est un «génie». Plusieurs écrivain.e.s et philosophes ont tenté de définir le terme «génie». Emmanuel Kant a cependant été l’un des premiers à proposer une théorie du génie dans son ouvrage de référence Critique de la faculté de juger, publié en 1790[14]. Sans nous empresser de cracher également sur Kant, dont l’irréfutable misogynie s’exprime dans son concept de contrat de mariage, qui relègue les femmes mariées au rang de «choses» (Dinge)[15], examinons d’abord la définition qu’il donne du génie dans le Paragraphe 46 : Les Beaux-arts sont les arts du génie, du Livre II : Analytique du sublime : « Le génie est la disposition innée de l’esprit (ingenium) par l’intermédiaire de laquelle la nature donne à l’art ses règles »[16]. A première vue, Kant fournit une définition valable pour tous, sans faire de distinction entre un « génie masculin » et « un génie féminin ».  Kant énumère les conditions requises pour être un génie  : 1. l’originalité, qui implique de ne pas imiter ce qui existe déjà ; 2. la singularité, au sens de devenir une référence à part entière. 3. Le génie, c’est un savoir intransmissible.

Plus tard, il cite quelques noms de génies à titre d’exemple, notamment Newton et Homère, et les décrit comme «les favoris de la nature»[17]. Kant n’est pas dépourvu d’humour lorsqu’il nous invite à nous méfier des «génies autoproclamés», en déclarant : «Des esprits superficiels croient qu’ils ne pourraient davantage montrer qu’ils sont des génies florissants qu’en se déliant de la contrainte scolaire de toutes les règles, et ils imaginent que l’on parade mieux sur un cheval sauvage que sur un cheval de manège »[18]. Ou encore : « Souvent l’on peut percevoir, dans une œuvre qui prétend être une œuvre d’art, du génie sans goût, de même que, dans une autre, du goût sans génie »[19].

Je ne vois rien dans ces descriptions qui puisse être lu comme la capacité d’un sexe plutôt qu’un autre à faire preuve de génie. Même si Kant ne mentionne à aucun moment des femmes de génie, leur invisibilisation était mille fois pire à son époque qu’aujourd’hui. Cela ne l’exonère évidemment pas d’avoir contribué à cette invisibilisation, comme l’avait démontré la philosophe Sarah Kaufman dans son livre Le respect des femmes : Kant et Rousseau (1982) [20]. Ainsi, le «génie féminin en hibernation», comme l’exprime le personnage de la pièce de théâtre Le Péché du Succès, ne peut être lu que comme une invisibilisation et non comme une spécificité de genre, comme certain-e-s voudraient l’entendre. Car toute tendance à genrer le génie me semble peu pertinente et ne peut que réduire la femme à être une auxiliaire d’un «génie masculin», si ce génie genré a réellement existé et n’était pas une grille de lecture commandant des siècles de pratiques esthétiques dont les femmes étaient exclues ou reléguées à des positions secondaires. Cela signifie que la lecture dépend aussi de la position du lecteur·rice. Qui lit qui ? C’est sans doute aussi un rapport de force. Ce n’est pas une conclusion que je fais out of the blue. J’ai vraiment et naïvement pris le temps d’y réfléchir.

Une scène du spectacle «Le Péché du succès» de Meriam Bousselmi © Djamel Bouali

Pouvoir, Esthétique et Légitimité

Je dois l’introduction de mon travail et mes premières productions sur la scène allemande au Dr. Roberto Ciulli[21]. Il est comédien, metteur en scène et fondateur du Theater an der Ruhr en 1980 avec le dramaturge Helmut Schäfer à Mülheim. J’ai été impressionnée par la rigueur de sa pratique esthétique, que j’ai découverte pour la première fois à Tunis en 2009 lors du Festival des Journées Théâtrales de Carthage (JTC). Je me souviens encore de sa mise en scène de la pièce Kaspar de Peter Handke au Théâtre Municipal de Tunis. Une mise en scène qu’il présentait depuis sa création en 1987, c’est-à-dire depuis que j’avais 4 ans ! C’était inconcevable à Tunis. La lenteur et la longueur de la mise en scène ont fait que le public tunisien, d’abord nombreux, s’est retiré par vagues au bout de quelques minutes de spectacle. Pendant l’entracte, nous nous sommes retrouvés presque exclusivement entre professionnels du théâtre. Le vide se faisait sentir dans la bâtisse colossale du Théâtre Municipal de Tunis.  Je me souviens d’ailleurs de la brève discussion que j’ai eue avec le metteur en scène tunisien Taoufik Jebali[22], fondateur d’El Teatro[23], à propos de la réception de l’esthétique «allemande» de Ciulli. Il m’avait dit quelque chose comme : «Tu vois, seuls ceux qui comprennent ce que c’est que le théâtre sont restés. Au théâtre, il faut avoir du souffle…».

L’expérience esthétique de la mise en scène de Kaspar par Roberto Ciulli a été l’un des rares moments de «sublime» dans ma vie, au sens de Kant. Pour moi, c’était un génie. Peter Handke aussi. Je rêvais de faire du théâtre comme lui, c’est-à-dire d’avoir un Ensemble qui travaillerait en synergie sur le long terme, ainsi que les moyens techniques et logistiques nécessaires pour élaborer une esthétique rigoureuse. Jusqu’alors, ma pièce Zapping sous contrôle[24] avait été un succès et avait été programmée au même prestigieux festival des JTC qui avait invité Roberto Ciulli. Mais je me battais pour créer, pour trouver ma place en tant qu’auteure et metteure en scène, pour ne plus me sentir empêchée et pour légitimer ma présence dans un milieu précaire et discriminatoire.

On ne crée pas de la même manière, chacun·e selon les conditions matérielles et structurelles qui lui sont offertes. Et ces conditions matérielles et structurelles influencent forcément les œuvres que l’on crée, que ce soit au niveau des récits ou de l’esthétique. Mes conditions de travail étaient et sont toujours précaires et ne sont pas comparables au luxe offert par le Theater an der Ruhr. Je peux même dire que tous mes projets sont des actes de survie artistique.

La comédienne Amal Omran dans «Le Péché du succès» de Meriam Bousselmi © Djamel Bouali

 

Par un heureux concours de circonstances, le metteur en scène tunisien Mohamed Driss[25], alors directeur des JTC et du Théâtre National Tunisien (TNT), dont je suis redevable de m’avoir ouvert les portes du TNT pour faire une mise en scène, avait invité Roberto Ciulli à revenir donner une Master Class à l’Ecole des Maîtres du TNT en 2010. Et bien sûr, j’ai été invité à le rencontrer, en vue de participer à une prochaine coproduction entre les deux metteurs en scène. C’est alors que les premiers échanges passionnants avec Roberto Ciulli ont commencé. Je crois que nous nous sommes admirés mutuellement à l’époque. Mais la révolution tunisienne de 2011 a empêché la concrétisation de la coproduction prévue autour d’un texte de Goldoni (L’Imprésario de Smyrne) entre le TNT et le Theater an der Ruhr.

Néanmoins, mes échanges avec Roberto Ciulli se sont poursuivis.  Je lui avais envoyé la documentation de ma pièce Mémoire en Retraite[26], produite par le TNT au moment même de la révolution. Il avait apprécié le texte et la mise en scène et nous avait invités à jouer à Mülheim. Après que la pièce ait été bien accueillie par le public allemand, le Theater an der Ruhr a commencé à coproduire mon travail, ce qui à l’époque m’a semblé être le début de la réalisation de mon rêve de devenir une «génie», c’est-à-dire d’avoir les moyens et le soutien nécessaires pour développer ma pratique esthétique. Sauf que le rêve a vite fait place à la désillusion, pour plusieurs raisons qu’il serait long de résumer ici.

Meriam Bousselmi pendant le salut de la première du spectacle «Le Péché du succès», Théâtre Régional de Béjaïa 2013 © Djamel Bouali

Si je raconte ce bout de biographie, c’est pour dire combien l’artiste Roberto Ciulli a compté pour moi et combien j’avais de l’estime pour son «génie». Mais lorsque Roberto Ciulli est venu à Béjaïa, en Algérie, une semaine avant la première du Péché du Succès, coproduit par le Theater an der Ruhr, pour assister à une répétition générale de ma pièce et préparer sa propre tournée avec sa troupe en Algérie, la guerre silencieuse des génies avait commencé !Alors que j’étais impatiente de partager avec lui et de lui montrer le travail acharné et intensif que j’avais accompli en à peine un mois, en témoignage de reconnaissance pour le soutien qu’il m’avait apporté et qui m’avait permis de perfectionner ma pratique esthétique, Roberto Ciulli m’a simplement dit après la répétition générale que, techniquement, je ne pourrais pas présenter la pièce telle qu’elle est en Allemagne.

En effet, le Théâtre Régional de Béjaïa est un joyau architectural hérité de l’époque coloniale, construit dans le style italien avec de hauts plafonds pour abriter toute la machinerie nécessaire à la magie théâtrale. Inspirée par ce lieu fabuleux, mon génie m’a amené à engager, en collaboration avec le Club de Spéléologie et Sports de Montagne à Béjaïa, une équipe de spéléologues qui a appris à la comédienne algérienne Mouni Bouallem[27] la remontée sur une corde pour s’envoler comme un papillon et disparaître dans le plafond, en oubliant complètement de demander si la machinerie fonctionnerait aussi dans les théâtres de Cologne et Mülheim, qui n’ont pas de hauts plafonds.Bien sûr, j’ai dû trouver « une astuce de génie » pour remplacer les deux actions de base que sont l’envol vers le plafond et la chute comme un papillon mort par des vidéos métaphoriques pour les représentations en Allemagne.

La comédienne Mouni Bouallem dans «Le Péché du succès» de Meriam Bousselmi © Djamel Bouali

 

Mais quand Roberto Ciulli m’a reproché de ne pas avoir trouvé «un langage féminin de mise en scène» et de n’avoir fait que reproduire «les mêmes procédés masculins de mise en scène» que, selon lui, j’avais appris lors de ma résidence de trois mois en 2012 à la Junge Akademie der Künste de Berlin[28], j’ai manqué de génie. Sa lecture a eu l’effet d’une hache qui a gelé la mer en moi. L’enthousiasme a fait place au doute.  Existe-t-il un «langage féminin de la mise en scène» et à quoi ressemble-t-il ?  Contrairement à la lecture de Ciulli, plusieurs de mes collègues et amis arabes de sexe masculin qui ont vu la pièce en Algérie m’ont reproché mon «esthétique féministe» et m’ont dit que mon génie est digne de sujets plus nobles et universels, comme c’était le cas dans mes créations précédentes. Jusqu’alors, j’avais écrit et mis en scène surtout des personnages masculins sans m’intéresser directement aux récits de femmes. Il faut aussi rappeler qu’en 2013, la lutte contre l’invisibilisation des femmes et les mouvements de solidarité féminine comme #Metoo n’étaient pas aussi visibles qu’aujourd’hui. Par conséquent, écrire et mettre en scène la pièce : Le péché du succès signifiait nager à contre-courant. Les lectures de la pièce variaient en fonction du contexte.

«Cris et rugissements pour l’émancipation. Avec » Le péché du Succès «, la femme de théâtre tunisienne Meriam Bousselmi montre la souffrance et le combat des femmes artistes arabes. On pourrait dire, en termes peu flatteurs, qu’Alice Schwarzer rencontre ici René Pollesch», a écrit Stefan Keim le 20.11.2013 dans un article publié sur le site de Deutschlandfunk Kultur[29]. Tandis ce qu’un autre directeur de festival, dont je préfère taire le nom, m’a dit quelque chose comme : «Oui, c’est bien ce que tu fais, mais pas en Europe.  Car tu fais du théâtre comme les Allemands. Je ne peux pas vendre ça à un public européen. Ce qui les intéresse dans les pièces que nous invitons, c’est le côté artisanal du théâtre arabe et africain». Il est sidérant de voir à quel point nous aimons étiqueter l’autre, surtout lorsqu’il s’agit d’un groupe culturel ou linguistique, et le réduire à de simples schémas de pensée et modèles esthétiques. J’ai toujours eu le sentiment de ne pas être à ma place, car chez moi, je suis classée comme très « allemande » à cause de « ma rigueur », et en Allemagne «pas assez arabe» aussi à cause de «ma rigueur» ! Mais la phrase qui résume tout l’art de la «lecture légitiméfiante[30]» est : «Tu n’as pas le droit d’être plus allemande que les Allemand.es !»

Le salut après la première du spectacle «Le Péché du succès» de Meriam Bousselmi, Théâtre Régional de Béjaïa 2013 © Djamel Bouali

 

Pour finir sans conclure, je voudrais ajouter que la lecture qui m’a fait le plus plaisir est celle d’un blogueur de Cologne, qui a écrit un long article illustré sur la pièce sous le titre : «Une confrontation profonde des rôles qui n’est pas seulement belle«[31]. Comprendre le jeu des rôles qui nous sont assignés est important. Surtout dans un modèle d’organisation du champ artistique où certain-e-s ont le monopole du choix et de la prise de décision à la place des autres[32]. Comment lire une œuvre artistique en neutralisant les grilles de lecture imposées par les processus de légitimation des inégalités ? Voilà ce que j’entends par lire avec tous les espoirs qui me sont permis !

 

[1] Le film (en Couleur et en Noir & Blanc) est une œuvre de commande pour L’Exposition Nationale Suisse 2002. Il est librement inspiré du roman Aimé Pache, peintre vaudois de Ramuz. Le film dure 22 minutes et se compose de 9 Chapitres. Production : Périphéria Film.

[2] Ce fragment de dialogue du film Liberté et Patrie [9:44′- 10:05′] est souvent attribué exclusivement à Jean-Luc Godard, sans mentionner le nom de sa coscénariste Anne-Marie Miéville. Tel est le cas, par exemple, d’Éric Méchoulan, professeur de littérature française à l’Université de Montréal, qui a oublié de mettre en pratique ce que recommande le beau titre de son livre : LIRE AVEC SOIN. Amitié, justice et médias (ENS Éditions, 2017), en reprenant la citation en épigraphe de son introduction (Page 9) tout en excluant Anne-Marie Miéville de ses droits de paternité sur ce dialogue en tant que coscénariste du film. Il s’agit là d’un symptôme fréquent de l’invisibilisation des femmes artistes dans les milieux académiques et médiatiques.

[3] Sophocle, Antigone, trad. Paul Mazon, Dossier et notes réalisés par Sophie-Aude Picon, Paris, Éd. Folioplus classiques, 2007.

[4] Félix Morisseau-Leroy, Antigòn an Kreyòl, Pétion-Ville (Haïti), Éd. Culture, 1953.

[5] Judith Butler, Antigone’s Claim : Kinship between Life & Death, New York, Columbia UP, 2000 ; Trad. Guy Le Gaufey, Antigone : la parenté entre vie et mort, Paris, EPEL, 2003.

[6] G.W.F. Hegel, Phénoménologie de l’Esprit, trad. Jean Hyppolite, Paris, Éd. Flammarion, 2012.

[7] George Steiner, Les Antigones, Traduit de l’anglais par Philippe Blanchard, Paris, NRF, Éditions Gallimard, 1986.

[8] Ibid., p. 1

[9] Carla Lonzi, Crachons sur Hegel. Une révolte féministe, Traduit de l’Italien par les « Derniers Masques », Paris, Éd. Eterotopia France / rhiZome, 2017.

[10] Jean-Baptiste Vuillerod, Hegel féministe. Les aventures d’Antigone, Vrin, coll. « Matière étrangère », 2020, p.15

[11] Carla Lonzi, 2017, p.71

[12] Le Péché du Succès (2013) est une coproduction de Meriam Bousselmi (Tunis) avec International Platform for dance & theatre GLOBALIZE:COLOGNE, A.TONAL.THEATER (Cologne), Theaterlandschaft Neues Arabien du Theater an der Ruhr (Mülheim) et Festival International de Théâtre de Béjaïa (en Algérie), avec le soutien de Akademie der Künste der Welt (Cologne). Dans cette pièce, Meriam Bousselmi a réuni six comédiennes et un musicien de quatre pays arabes : l’Algérie, le Maroc, la Syrie et l’Égypte – pour faire un état des lieux de la situation des droits des femmes et des difficultés qu’elles rencontrent dans l’exercice de leurs carrières artistiques dans un contexte patriarcal. Texte & Mise en scène : Meriam Bousselmi, Interprétation de :  Amal Omran (Syrie), Amal Ayouch (Maroc), Fatiha Ouarad (Algérie), Ayet Magdy (Egypte), Djohra Dreghela (Algérie), Mouni Bouallam (Algérie) et la musique de Younes Kati (Algérie). Bande-annonce de la pièce, disponible à l’adresse : https://vimeo.com/79784852  [Consulté le 25/01/2025] Le Texte est disponible en allemand chez Hartmann & Stauffacher GmbH Verlag für Bühne, Film, Funk und Fernsehen dans une traduction de Andreas Bünger. Pour plus d’information voir : Sünde Erfolg, disponible à l’adresse : https://www.hsverlag.com/werke/detail/t3875 [Consulté le 25/01/2025] Le Texte est disponible en anglais chez International Performing Rights Ltd dans une traduction de Salma Riahi. Pour plus d’information voir : The Sin of Success, disponible à l’adresse : https://iprltd.co.uk/?q=plays-musicals/the-sin-of-success[Consulté le 25/01/2025]

[13] Pour plus d’information sur le travail d’Amal Ayouch, voir sa page Wikipédia, disponible à l’adresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Amal_Ayouch#:~:text=la%20com%C3%A9die%20fran%C3%A7aise)-,Carri%C3%A8re%20en%20tant%20qu’actrice,de%20multiples%20facettes%20du%20Maroc [Consulté le 25/01/2025]

[14] Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, Trad. Alain Renault, Paris, Éd. Flammarion, 2015, p. 293-306.

[15] Emmanuel Kant, Métaphysique des mœurs. Première partie : Doctrine du Droit, traduction de l’allemand par Alexis Philonenko, Paris, Vrin, 2011, §22-23.

[16] Kant, 2015, p. 293.

[17] Ibid., p. 295.

[18] Ibid., p. 296.

[19] Ibid., p. 299.

[20] Sarah Kofman, Le respect des femmes : Kant et Rousseau, Paris, Éd. Galilée, 1982.

[21] Pour plus d’information sur le travail de Dr. Roberto Ciulli, voir le site du Theater an-der Ruhr, à l’adresse : https://www.theater-an-der-ruhr.de/de/menschen/738-roberto-ciulli [Consulté le 25/01/2025]

[22] Pour plus d’information sur le travail de Taoufik Jebali, voir sa page Wikipédia, disponible à l’adresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Taoufik_Jebali [Consulté le 25/01/2025]

[23] Pour plus d’information sur El Teatro, voir le site web, disponible à l’adresse : https://elteatrotunis.com/fr/home  [Consulté le 25/01/2025]

[24] Zapping sous contrôle, Texte et Mise en scène de Meriam Bousselmi, production Web Arts Tunis, Prix de la Production de La Ressource Culturelle (Al Mawred Al Thaqafy) 2007. Pour plus d’information, voir : MEKKI, Thameur, Tunisie Big Brother ne zappe jamais !, Tekiano.com, 19 novembre 2009, disponible à l’adresse : https://www.tekiano.com/2009/11/14/tunisie-big-brother-ne-zappe-jamais/ [Consulté le 25/01/2025] Bande-annonce de la pièce, disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=CAjx53RpYQ0 [Consulté le 25/01/2025]

[25] Pour plus d’information sur le travail de Mohamed Driss, voir sa page Wikipédia, disponible à l’adresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mohamed_Driss [Consulté le 25/01/2025]

[26] Mémoire en Retraite, Une production du Théâtre National Tunisien (2011), Texte & Mise en scène de Meriam Bousselmi avec Sleh Msadek & Kabyl Sayari.  La pièce remporte le Prix Cheikh Sultan Bin Mohamed Al-Qasimi pour la meilleure œuvre théâtrale arabe en 2011. Mémoire en retraite met en scène l’éternel conflit entre un père (avocat véreux) et son fils (poète marginalisé) tout en inscrivant le thème dans une d’une symbolique franchement politique, celle du totalitarisme. Bande-annonce de la pièce, disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=JY2mvBdrylA [Consulté le 25/01/2025] Le Texte est disponible en allemand chez Hartmann & Stauffacher GmbH Verlag für Bühne, Film, Funk und Fernsehen dans une traduction de Leila Chammaa et Youssef Hijazi. Pour plus d’information voir : MÉMOIRE EN RERTAITE, disponible à l’adresse: https://www.hsverlag.com/werke/detail/t3815?rechte_autor=Tardieu%2C%20Jean&rechte_titel=SIE%20ALLEIN%20WISSEN%20ES [Consulté le 25/01/2025] L’enregistrement de la mise en lecture en allemand par Kevin Rittberger dans le cadre de la manifestation «Familienclans und andere Dramen Dokumentation des tunesisch-deutschen Theaterdialogs», le 03 mars 2012 à l’Akademie der Künste Berlin avec Moritz Grove et Christian Grashof, est disponible l’adresse: https://medien.adk.de/sektionen/darstellende_kunst/2012/adk120303_Tunesische_Dramatik_Lesung%201_Memoire.mp3 [Consulté le 25/01/2025]

[27] Pour plus d’information sur le travail de Mouni Bouallem, voir sa page Wikipédia, disponible à l’adresse:https://fr.wikipedia.org/wiki/Mouni_Bouallam#:~:text=Mouni%20Bouallam%20est%20une%20actrice%20de%20th%C3%A9%C3%A2tre%20et%20de%20cin%C3%A9ma%20alg%C3%A9rienne[Consulté le 25/01/2024]

[28] Meriam Bousselmi a reçu la Bourse de Résidence et de Travail de la Junge Akademie der Künste à Berlin, Section : Arts du spectacle en 2012. Pour plus d’information, voir le site de ADK, disponible à l’adresse : https://www.adk.de/de/news/?we_objectID=32104 [Consulté le 25/01/2025]

[29] Stefan Keim, «Kreischen und Brüllen für die Emanzipation. Die tunesische Theatermacherin Meriam Bousselmi zeigt mit «Sünde Erfolg» Leiden und Kampf der arabischen Künstlerinnen. Flapsig könnte man sagen: Hier trifft Alice Schwarzer auf René Pollesch.», publié le 20.11.2013 sur Deutschlandfunk kultur, disponible à l’adresse : https://www.deutschlandfunkkultur.de/arabisches-theater-kreischen-und-bruellen-fuer-die-100.html [Consulté le 25/01/2025]

[30] Un mot composé par l’auteure à partir des notions de Légitimité et de Méfiance.

[31] Namkoartist, «Tiefgehende Rollenauseinanderesetzung die eben nicht nür schön ist», publié le 24. 11. 2013, disponible à l’adresse :https://namkoartist.wordpress.com/2013/11/24/theater-auf-dem-theater-mit-visionarer-weitsicht-und-poesie/ [Consulté le 25/01/2025]

[32] Reine Prat, Exploser le plafond. Précis de féminisme à l’usage du monde de la culture, Éditions Rue de l’échiquier, Collection Les Incisives, 2021.

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Ce texte a été écrit par Meriam Bousselmi dans le cadre de son travail de recherche au sein de L’École Doctorale 2477 «Pratique Esthétique», soutenue par la Deutsche Forschungsgemeinschaft – Numéro de Projet : 394082147.

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La metteure en scène et autrice Meriam Bousselmi (c) Angela Ankner

Meriam Bousselmi née en 1983 à Tunis, a étudié le Droit et les Sciences Politiques à l’Université de Tunis Carthage. Elle est auteure, metteure en scène, avocate, conférencière, chercheuse et bâtisseuse de ponts polyglotte. Dans le cadre de sa thèse de doctorat, elle fait des recherches sur la Mise en scène de la Justice au sein de l’École Doctorale DFG 2477 – Pratique Esthétique à l’Université de Hildesheim et explore ce thème en pratique à travers des projets artistiques.
Dans sa pratique artistique, Meriam Bousselmi associe les formes de narration les plus diverses : textes littéraires, mises en scène théâtrales et installations performatives. Elle réfléchit aux conditions politiques, sociales et civiles actuelles à travers différentes formes esthétiques. En transgressant les frontières entre les genres et en abordant des sujets tabous, elle reflète une image critique de notre époque. Son travail devient une déclaration artistique contre les manipulations politiques et les récits négatifs dominants de notre monde.
En 2018, Meriam Bousselmi s’est installée à Berlin et depuis, elle a développé un style d’écriture multilingue et une approche artistique transculturelle. Ses nouveaux projets traduisent en pratique des notions telles que : le dialogue, le transfert et le métissage des modes de narration.

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