Traduire Forough, c’est aussi pour moi traduire l’oeuvre d’une femme, née la même année que ma grand-mère, Zibâ, qui habite encore aujourd’hui à Téhéran. C’était d’une certaine manière revenir au pays – désormais disparu – que certains membres de ma famille avaient quitté pour l’Europe ou les Etats-Unis. Y revenir sans être nostalgique de cette époque – entre Savak et capitalisme à marche forcée. Traduire avec mon père ces deux recueils était une manière de s’approcher d’un pays que les tensions politiques et diplomatiques ne me permettent plus de découvrir, autrement que par les écrits ou le cinéma. Pour un certain temps encore.
Le persan n’est pas ma langue maternelle. Je le parle avec difficulté et précaution, gênée de mon accent et de mes imprécisions syntaxiques. Une langue-fantôme comme il y a des membres fantômes. Amputés, ils existent toujours, lancinants, luisant dans l’absence.
Je pense à ce triste réveil, à cette stupeur
Une fois nos jeux et la rue passés
Et ce grand vide laissé par le parfum des acacias
Traduire… Une identité qui se perd ou qui s’augmente, sensible à la moindre métamorphose. Je n’ai jamais respiré d’acacias en fleurs.
[1] « Le poème que l’on traduit n’est pas une abstraction mais un corps concret. En traduisant, j’ai le sentiment de procéder à une éviscération du texte, mais chaque mot éviscéré suscite la vie ». Antonella Anedda cité par Jean- Baptiste Para in La conférence de Lausanne.
[2] L’énigme d’Edward Fitzgerald, Jorge Luis Borges in Autres inquisitions, La Pléiade
[3] Fidèles Infidèles, la traduction poétique par les poètes, Pierre Vinclair in Idées arrachées, Essais et entretiens, Editions Lurlure
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