Magz Barrawasser, Sonja Finck, Olivier Sylvestre et Justus Rothländer parlent de «Guide d‘éducation sexuelle pour le nouveau millénaire» Du désir sans jeux de pouvoir

Moritz Winklmayr (Oli) et Josephine Schumann (So) dans «Guide d‘éducation sexuelle pour le nouveau millénaire» (décor et costumes: Rabea Stadthaus) (c) Tom Schulze

Dans la pièce jeune public d’Olivier Sylvestre «Guide d‘éducation sexuelle pour le nouveau millénaire», trois adolescent·e·s, So, Ben et Oli découvrent leur propre désir et apprennent à le gérer de manière responsable. Magz Barrawasser met en scène la création allemande de ce texte au Theater der Jungen Welt à Leipzig (première le 16 septembre 2023). En conversation avec Frank Weigand, la metteuse en scène, l’auteur québécois, la traductrice Sonja Finck et le dramaturge Justus Rothländer échangent sur plusieurs questions : l’adaptation à des contextes locaux, l’humour, la sexualité au-delà de la pornographie et les structures consensuelles de collaboration.

 

 

Frank Weigand: Olivier, « Guide d‘éducation sexuelle pour le nouveau millénaire » est une pièce qui contient des niveaux de lecture très différents. D’une part, c’est un document d’époque, une sorte de capsule de l’année 1999, avec tout ce qui s’est passé d’horrible, de beau et d’angoissant à l’époque. La peur du bogue de l’an 2000, la guerre du Kosovo, la campagne électorale de George Bush, la culture pop et les Backstreet Boys… En même temps, j’ai vu que tu es né en 1982, Olivier. Tu avais le même âge que tes deux personnages masculins en 1999. Il y a donc aussi un niveau autobiographique. Et troisièmement, c’est une pièce de théâtre pour des adolescent·e·s. Et dans cette pièce, il est question de sexualité, de désir, d’incertitude et peut-être aussi de la question de savoir comment on peut parler de tout cela au théâtre. D’où t’est venue cette idée d’écrire une pièce qui relie tous ces niveaux ?

 

Olivier Sylvestre: L’idée initiale m’est peut-être venue en réaction à la censure que j’ai subie avec ma pièce « La loi de la gravité ». Lorsque cette pièce a été produite à Montréal, il y avait toujours une interrogation du genre : « qu’est-ce qu’on peut montrer ou ne pas montrer ? », c’est-à-dire quels sont les thèmes autorisés pour le public adolescent et ceux qui ne le sont pas.  Dans une première version, les deux personnages, qui se présentent comme des garçons, s’embrassaient sur scène, et à un moment donné, le producteur m’a demandé de ne plus représenter le baiser, car il avait peur des réactions du public. Il trouvait également problématique que les deux fument un joint ensemble. Je me suis alors demandé : c’est quoi, le vrai problème ? Quels sont les sujets que nous pouvons aborder, thématiser et montrer avec les jeunes – et ceux que nous ne pouvons pas aborder ? J’ai donc eu l’idée d’écrire une pièce où la sexualité apparaîtrait déjà dans le titre et serait donc impossible à censurer. Et oui, il y aurait une scène de masturbation, une scène d’amour, etc., de sorte qu’il soit impossible d’éviter ces thèmes. Il s’agissait avant tout pour moi d’écrire une histoire qui explore la sexualité. La question principale est : comment identifions-nous nos sentiments, à l’âge de 17 ans? Comment départager l’amitié du désir ou de l’amour? Je voulais écrire une histoire dans laquelle nous examinerions ces trois sentiments. Pour les jeunes d’aujourd’hui, qui n’ont évidemment pas vécu l’année 1999, le texte est aussi une sorte de voyage dans le temps. Je n’ai plus 15, 16 ou 17 ans. Je ne sais donc pas ce que c’est que d’être jeune aujourd’hui. Mais je pense que le désir est toujours le même et qu’il fonctionne un peu de la même manière, même si la technologie dont nous disposons et les autres circonstances changent. C’est donc aussi une pièce historique. Mais il s’agit avant tout de trois personnes qui vivent quelque chose ensemble, qui font des expériences. La grande Histoire – celle de 1999 – est ainsi liée à l’histoire intime des sentiments et à la question : « Qu’est-ce que ces sentiments signifient pour moi au niveau identitaire? ».

Moritz Winklmayr (Oli), Josephine Schumann (So) et Philipp Zemmrich (Ben) dans «Guide d‘éducation sexuelle pour le nouveau millénaire» (décor et costumes: Rabea Stadthaus) (c) Tom Schulze

Frank Weigand. Après les trois niveaux que j’ai évoqués, il y a en effet un quatrième élément, qui est celui du contexte, le Québec, où tu vis et où la pièce a été créée. Et si l’on veut l’exporter, la question se pose immédiatement de savoir dans quelle mesure tout cela est universel ou dans quelle mesure il faut l’adapter ? 

 

Sonja Finck: Dès le début de la traduction, j’ai échangé avec Olivier. Ça a été un processus collaboratif dès le départ. C’est important de le dire, parce que souvent, il n’y a pas de communication; un texte arrive sur mon bureau, je le traduis, je le livre, et c’est tout. Mais Olivier m’a dit dès le début combien il était important pour lui que le contenu de la pièce ne paraisse pas étranger afin de faciliter l’identification des jeunes spectateurs·rices avec les personnages. Et c’est maintenant ce qui figure au début de la version allemande, avec la description des personnages, la mention des institutions qui ont soutenu le travail et les notes d’usage : « D’éventuelles adaptations spécifiques au lieu de la production peuvent être faites à la discrétion de la mise en scène ». C’était la consigne qu’Olivier m’avait donnée, et donc il était clair qu’en traduisant, j’allais garder le contexte québécois et essayer de le rendre accessible et compréhensible pour un public germanophone. Par exemple, on a le droit de boire de l’alcool à partir de 16 ans en Allemagne et au Québec seulement à partir de 18 ans. Pour entrer dans un bar, il faut montrer sa carte d’identité. C’est pourquoi il existait au Québec des bars sans alcool pour les jeunes de 12 à 18 ans. Une autre histoire intéressante était celle des « pagers », l’ancêtre du téléphone portable que les personnages utilisent pour communiquer, et qui étaient très répandus au Québec en 1999. En Allemagne, les jeunes n’ont jamais eu de pagers, seulement les médecins ou des gens qui avaient des métiers comme ça; nous avons quasiment fait le saut du téléphone fixe au téléphone portable sans passer par le pager. La technologie de l’an 1999 joue un rôle important dans la pièce. Pour ces choses-là, il était donc important pour moi que ce soit compréhensible en allemand, mais je les ai tout de même laissées dans le texte en attendant, puis je les ai expliquées dans une note de bas de page. Par ce fait, je voulais apporter une aide au travail d’adaptation d’une mise en scène allemande.

 

Magz Barrawasser: Puis-je faire une petite parenthèse ? Justus et moi venons de rigoler en même temps, car c’est exactement de ça qu’on a discuté aujourd’hui en répétition, la question de « qui peut acheter et boire de l’alcool, et quand ».

 

Justus Rothländer: Oui, il est important de garder cela en tête. Quand est-ce qu’on a le droit d’acheter de la bière, quand est-ce qu’on a le droit d’acheter de l’alcool fort ?  Quand est-ce qu’on passe le permis de conduire et tout cela – ce sont des éléments très techniques qui nous font remarquer que le texte vient d’un autre contexte.

 

Sonja Finck: Qu’avez-vous finalement fait avec le pager ?

 

Justus Rothländer: La décision est assez récente. Nous l’avons finalement remplacé par le téléphone portable. Il y a plusieurs raisons, d’abord la plausibilité : en faisant des recherches, nous avons constaté que Nokia avait mis sur le marché allemand le premier petit téléphone bon marché à la même époque, et que beaucoup de jeunes l’avaient déjà. J’ai fait des recherches au théâtre parmi mes collègues : comment était-ce à cette époque à Leipzig ? Qu’y avait-il là-bas ? Et c’est là que quelqu’un m’a donné ce téléphone, l’original de 1999!
De manière générale, nous avons remarqué qu’à certains endroits, on est rapidement distrait du contenu par des détails venant d’un autre contexte; il était important de mettre les choses au point et de montrer qu’à cet endroit, ce qui était important n’était au fond pas vraiment le pager ou la technologie, mais plutôt de comprendre la situation précise entre les personnages. Mais pour créer une plausibilité pour l’ensemble de la pièce, nous devions trouver des équivalents locaux. Par exemple, le club, c’est spécifique à la région. Ici, en Allemagne, on peut aller dans les bars et boire de la bière à partir de 16 ans, il n’y a pas de contrôles d’entrée stricts. Et en même temps, ici à Leipzig par exemple, il y avait ce qu’on appelait des « clubs pour les jeunes » (Jugendclubs). C’était un peu une variante pas vraiment cool d’un bar ou d’un club. On pouvait y faire la fête, il y avait de l’alcool, mais pas d’alcool fort. Nous avons donc pris cela comme un lieu qui se rapproche de ce bar pour jeunes au Québec. Une grande partie de ces éléments n’existent qu’à Leipzig. À Hambourg, cela aurait probablement été une tout autre affaire.

Philipp Zemmrich (Ben) dans «Guide d‘éducation sexuelle pour le nouveau millénaire» (décor et costumes: Rabea Stadthaus) (c) Tom Schulze

Sonja Finck: Je traduis surtout de la prose et jusqu’ici, je n’ai traduit que 10 ou 12 pièces de théâtre. Mais vous êtes les premiers à m’avoir contactée pour contribuer au concept d’une mise en scène. Et j’ai trouvé ça vraiment, vraiment génial. Je ne sais pas d’où vous est venue l’idée, mais vraiment : chapeau ! Je trouve cela très satisfaisant que mon travail soit apprécié et pas simplement pris un comme matériau brut dont on peut ensuite faire ce qu’on veut. Mais que le texte et la traduction soient pris au sérieux, que vous nous ayez consultés, Olivier et moi. En fait, nous avons surtout parlé de la question d’adapter la pièce à Leipzig, mais aussi des scènes au contenu plus intime. À deux endroits, nous nous sommes dit : OK, aujourd’hui, après tous les débats sur le consentement, on n’écrirait plus ça comme ça, et la façon dont j’avais traduit ces passages avait aussi quelque chose de bizarre. D’abord, c’était la scène où Ben a un fantasme sexuel derrière le bar, où il imagine une fille qui se met à genoux devant lui. Nous avons longuement discuté de la manière d’exprimer cela sans ce geste de soumission. Nous avons d’abord consulté Oliver pour savoir s’il était d’accord pour le changer. Puis, nous avons joué un peu au ping-pong d’idées, jusqu’à ce que nous soyons toustes content·e·s de ce passage.

 

Magz Barrawasser: La décision que nous avons prise toustes ensemble, c’est qu’au lieu de se mettre à genoux devant lui, elle lui déboutonne son pantalon, ce qui est pour ainsi dire un geste actif de sa part. Mais c’est aussi un signal plus clair de l’accord d’une personne. C’était un petit changement qui était important pour nous. Ce qui nous a accompagné·e·s tout au long, c’est aussi la qualité de ce texte, qui réussit à donner une image réelle de la sexualité avec beaucoup d’humour. C’est ça qui nous a totalement impressionné·e·s à la première lecture. Il y a des passages très explicites, ils·elle couchent ensemble – et c’est une pièce où les personnages se rencontrent d’égal·e à égal·e. Il s’agit d’une sexualité qui fonctionne aussi de façon consensuelle, et c’est ce que nous voulions absolument montrer. Pour dire : OK, c’est ce que la sexualité peut être aussi, en dehors de la pornographie. Comment pouvons-nous en parler, comment rendre possible le fait que quelqu’un dise « tel geste, tel moment, je n’ai pas vraiment aimé ça ».

Moritz Winklmayr (Oli) et Josephine Schumann (So) dans «Guide d‘éducation sexuelle pour le nouveau millénaire» (décor et costumes: Rabea Stadthaus) (c) Tom Schulze

Frank Weigand: En Allemagne, nous avons une tout autre tradition théâtrale que dans les pays francophones ou anglophones. Beaucoup d’auteurs·rices sont choqué·e·s par tout ce qu’on peut faire avec leurs textes en Allemagne. Légalement, il est possible de modifier jusqu’à 20% d’un texte, d’y intégrer des textes étrangers et ainsi de suite, sans que l’auteur·rice puisse s’y opposer ou dire « ceci n’est plus mon texte ». En tant qu’équipe de production, vous n’êtes donc pas du tout obligé·e·s de travailler de manière aussi « fidèle au texte ». C’est formidable que vous le fassiez quand même.

 

Magz Barrawasser: Quand nous créons une pièce où il est question de limites et de négociations, je pense qu’il ne faut pas faire son propre jeu de pouvoir sans concertation. Il est important de prendre au sérieux la responsabilité que nous avons lors d’une création en langue allemande (DSE). Je trouve ça génial de ne pas être seule à prendre des décisions, de ne pas agir selon cette vieille idée où la personne qui met en scène va seule jusqu’au bout de sa propre vision. Ce n’est pas ainsi que je conçois le théâtre. Je trouve ça très bien de savoir que ce n’est pas grave si parfois je ne maîtrise pas tout. Je n’ai aucune idée de comment on écrit. Et quand je mets en scène un texte, c’est super de pouvoir poser des questions aux personnes qui savent le faire. C’est super précieux pour moi, afin de pouvoir ensuite bien faire mon propre métier et expliquer les choses mieux ou différemment à la troupe. Pour moi, travailler sur un texte, c’est toujours comme suivre des pistes. Et c’est un luxe absolu pour moi de pouvoir jouer ce jeu de manière aussi ouverte et assumée. Pour moi, par exemple, la discussion que nous avons eue au printemps, Oliver, Justus et moi, a été super utile pour comprendre les personnages. Je me souviens très bien que pour moi, Ben était d’abord un personnage avec des tendances toxiques, mais Olivier a dit : « non, Ben est masculin, mais pas toxique ». Cela nous a beaucoup aidé·e·s à développer le personnage.

 

Olivier Sylvestre: Ben performe une masculinité bien précise. En 1999, c’était la réalité dans laquelle les ados vivaient : nous étions entouré·e·s de masculinité toxique. Cette masculinité toxique était partout, même dans la façon de parler. Mais en même temps, il y avait des nuances et on abordait aussi la sexualité avec humour. C’est de cela que nous avons parlé. Il y avait ce côté toxique et aussi autre chose. Et quand j’ai écrit les personnages, j’ai essayé de garder ces nuances, que tout ne soit pas toujours noir ou blanc. Qu’on ne dise pas tout de suite : « Oh, ça va, on a compris ».

 

Magz Barrawasser: Oui, complètement. Et pour moi, c’est vraiment agréable de ne pas être un genre de lonesome wolf en répétition, mais de savoir que j’ai aussi une équipe avec laquelle je peux discuter. Si je me retrouve face à quelque chose que je ne comprends pas du tout, il y a des gens avec qui je peux vérifier mes impressions. La plupart du temps, c’est Justus qui demande à Sonja ou Justus qui demande à Olivier ou moi qui demande simplement à Justus. Et pour moi, ça, c’est vraiment très précieux.

 

Sonja Finck: Oui, d’ailleurs, c’est aussi très précieux pour moi en tant que traductrice, et ça m’aide peut-être parfois à réajuster le texte. Par exemple, nous avons également modifié ensemble une phrase dans la scène de sexe entre Oli et So. Dans la traduction allemande initiale, Oli demande toujours : « Est-ce que je peux faire ceci, est-ce que je peux faire cela ? Est-ce que ça te plaît ? » et puis, à un moment donné, So dit « oui, continue, mais arrête de me demander tout le temps la permission ». Et ça sonnait un peu bizarre en allemand, comme si elle ne voulait pas du tout de consentement. Et puis, nous en avons discuté et sommes arrivé·e·s à la version actuelle: « tu peux être sûr que je te le dirai, si quelque chose ne me plaît pas, alors tais-toi », ce qui la rend à nouveau beaucoup plus active. Ce sont de petites vis de réglage qui ont une grande influence sur le contenu et sur la manière dont on ressent le personnage. Pour moi, en tant que traductrice, c’est très intéressant de voir comment une réplique peut faire bouger le personnage dans un sens ou dans l’autre.

Philipp Zemmrich (Ben) et Josephine Schumann (So) dans «Guide d‘éducation sexuelle pour le nouveau millénaire» (décor et costumes: Rabea Stadthaus) (c) Tom Schulze

Frank Weigand: Justus, comment vous, au Theater der Jungen Welt, êtes-vous tombés sur ce texte? Pourquoi avez-vous décidé de le mettre en scène? Et qu’est-ce que vous vouliez raconter – probablement pas forcément comment c’était au Québec en 1999 ?

 

Justus Rothländer: Eh bien, nous étions en train de planifier la saison, on était à la recherche d’un projet pour les 15 ans et plus, et dans ce cas, on finit souvent par choisir d’adapter un classique. Une de nos préoccupations était de trouver quelque chose qui pourrait peut-être toucher le public d’une autre manière, dans sa propre réalité. De plus, Olivier a fait une résidence au Theater an der Parkaue à Berlin en 2021, et c’est là que je l’ai rencontré et où j’ai appris à l’apprécier en tant qu’auteur qui prend très au sérieux le travail pour le jeune public et qui le fait de manière très consciencieuse. C’est ainsi que j’ai eu l’idée de regarder ce qu’il faisait en ce moment, ce qu’il écrivait, et c’est ainsi que nous en sommes arrivés lui et moi à ce sujet. Et nous avons été assez rapidement enthousiasmé·e·s par ce texte. La qualité particulière de ce texte est qu’il prend en charge le thème de la sexualité de manière directe. Qu’il ose aussi une sorte de confrontation. Et en même temps, il lance la discussion. Et cela nous a semblé essentiel, justement à une époque où la sexualité est omniprésente visuellement et dans les cours de récréation. Il suffit d’un téléphone portable et je peux regarder toute la porno que je veux. Et là, de proposer quelque chose de différent qui dit : OK, tu peux aussi en parler, communiquer à ce sujet, tu peux décider qui tu aimes, comment tu aimes, ce que tu aimes et ce que tu n’aimes pas. C’était cela qui nous intéressait par rapport à ce sujet.

Josephine Schumann (So) dans «Guide d‘éducation sexuelle pour le nouveau millénaire» (décor et costumes: Rabea Stadthaus) (c) Tom Schulze

Frank Weigand: Magz, en préparant cette interview, je suis tombé sur un texte de toi sur nachtkritik.de, dans lequel tu réfléchis à la manière dont l’intimité peut et doit être traitée au théâtre et au cinéma. L’intimité est en effet le véritable enjeu de cette pièce. Comment la représenter ou comment dealer avec elle? Quelle a été ton approche à ce sujet en tant que metteure en scène ?

 

Magz Barrawasser: Ce que j’aime beaucoup dans le texte d’Olivier, c’est que les personnages ouvrent sans cesse le quatrième mur et parlent au public. Parce que cela nous rapproche totalement des personnages et leur donne toujours la possibilité de sortir de la situation. Et c’est quelque chose de très fort, qui donne beaucoup plus de relief aux personnages. Cette contradiction entre l’extérieur et l’intérieur, cette ambiguïté, surtout lorsqu’on tombe amoureux·se, je les connais aussi, même à presque 40 ans.

Et l’intimité, l’aspect physique, est bien sûr un sujet important. J’ai trouvé ça super d’entendre, Olivier, que tu as pour ainsi dire écrit contre la censure, parce que dans cette pièce, on ne peut définitivement pas éviter de parler de sexualité.  Le texte est tellement bien écrit que nous n’avons pas besoin de faire grand-chose. Nous n’avons pas besoin de faire de grandes illustrations et d’envoyer les gens nus sur scène. Parce que le langage, les codes ont seulement besoin d’être accompagnés de regards pour déclencher un flot d’associations dans la tête du public. Mais malgré cela, il est bien sûr aussi beaucoup question de contacts, et justement de contacts physiques entre les deux personnages masculins, et le fait que l’espace scénique soit très petit est très utile à cet égard. Nous avons quelques scènes où tout tourne autour des mains de Ben et d’Oli et de comment elles se touchent, et c’est tout de suite super intense. Nous travaillons beaucoup avec des tout petits mouvements et beaucoup avec le regard. C’est ça, nos principaux moyens. Mais nous avons aussi dès le début beaucoup parlé de tout cela au sein de l’équipe. C’est un texte qui a un langage très explicite, il s’agit bien sûr de sexualité. Et nous avons effectivement demandé aux acteurs·rices avant le casting : « Lisez le texte, réfléchissez si vous avez vraiment envie de le jouer ». Je trouve que ça, c’est un processus très particulier au théâtre. Nous avons commencé par un atelier dans lequel il s’agissait d’établir la possibilité de dire « Je ne veux pas jouer ça comme ça ». Nous voulions tout d’abord établir cela. Cette pièce parle de limites, les personnages ont des limites, ils sont en train de les négocier entre eux, mais cela vaut aussi pour notre travail.

Moritz Winklmayr (Oli) dans «Guide d‘éducation sexuelle pour le nouveau millénaire» (décor et costumes: Rabea Stadthaus) (c) Tom Schulze

Frank Weigand: Olivier, quelles ont été tes expériences jusqu’à présent avec les productions de tes pièces, aussi bien dans ton propre contexte québécois qu’à l’étranger ?

 

Olivier Sylvestre: C’est différent à chaque fois. Cela dépend de la façon dont nous travaillons. Quand la première de ce texte a eu lieu au Québec en 2020, j’étais très proche de la production, donc très proche de la scène et de la salle de répétition. Et nous avons alors beaucoup discuté et fait évoluer le texte au cours des répétitions. C’était donc un travail collectif, mais bien sûr il y avait aussi des conflits, parce que nous n’étions pas toujours d’accord sur ce que nous voulions ou pouvions représenter sur scène, et sur ce que nous ne pouvions pas. Par exemple, quand il y a deux niveaux dans le texte, c’est-à-dire la narration et l’action, et qu’il fallait se demander si on montre ce qui est dit ou pas, ou si on trouve une autre solution.
Mais ici en Allemagne, je n’ai pas d’autre choix que de vous faire confiance, et je connais Justus et Sonja, donc je suis très, très rassuré que tout se passera bien. Et je suis très déçu de ne pas pouvoir assister à la première. Au fond, dans toute production, il s’agit d’abandonner le contrôle. Bien sûr, c’est ma pièce, je l’ai écrite, et ce que j’ai voulu raconter, c’est aussi mon histoire et ma vision du monde. Mais alors, il ne me reste plus qu’à espérer et à croire que cela sera respecté. J’attache une importance particulière au dialogue entre la pièce et le public, et à la manière dont nous prenons soin du public. Différents publics ont des besoins différents. Et tout dans cette adaptation de Leipzig me plaît beaucoup, parce que c’est vraiment ce dont cette histoire a besoin. Comme l’a dit Sonja, ce n’est pas important que les jeunes de Leipzig sachent comment ça se passait au Québec en 1999. C’est plus une question de sentiments et de ce qui se passe à l’intérieur de nous.

 

Magz Barrawasser: Je pense qu’en fin de compte, nous travaillons quasiment toustes toujours dans des positions où nous nous approprions quelque chose et devons ensuite lâcher prise. Moi aussi, je dois lâcher prise afin de confier le spectacle aux acteurs·rices, et ielles à leur tour doivent le confier au public. Mais j’ai l’impression, globalement, que nous arrivons très bien, grâce à la communication que nous avons eue en amont, à faire confiance et à pouvoir faire confiance aux expertises professionnelles des uns et des autres. J’ai totalement confiance qu’Oliver a écrit une bonne pièce, j’ai totalement confiance que Sonja a trouvé les bons mots en allemand, j’ai confiance que Justus me donne des retours sincères par rapport à ce que nous faisons pendant les répétitions. Je trouve cela super précieux d’établir cette relation d’égal à égal. Cela fonctionne seulement si les différentes perspectives professionnelles sont compatibles.

 

Sonja Finck: Oui, et je pense que ça aide que nous soyons toustes d’accord sur ce que ça signifie de respecter des limites, par rapport au contenu ou par rapport à la collaboration professionnelle.  Si quelqu’un dans la chaîne avait eu une conception totalement différente, je pense que ça aurait été difficile. La communication fonctionne si bien, parce que nous partageons une version semblable de ce que veut cette pièce et de comment bien la traiter.

 

Frank Weigand: Voilà une très belle conclusion. Merci beaucoup à vous toustes – et merde pour la première !

 

 

La mise en scène de Magz Barrawasser de «Sexualkunde für das nächste Jahrtausend» (Première le 16.9. 2023) est régulièrement à l’affiche cet automne au Theater der Jungen Welt, Leipzig.

Dates et billets 

Bande-annonce de la production + une entrevue avec la metteuse en scèn Magz Barrawasser

 

Un grand merci à Olivier Sylvestre pour le travail de relecture de la traduction française de cet entretien.

 

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Olivier Sylvestre (c) Guillaume Boucher

Auteur et traducteur, Olivier Sylvestre a étudié la criminologie et l’écriture dramatique. Traduits en plusieurs langues et joués au Québec et en Europe, lauréats de nombreux prix, ses textes littéraires et ses pièces sont pour la plupart publiés chez Hamac, où il dirige depuis 2022 la collection Théâtre. Il a œuvré pendant plus de dix ans comme intervenant en dépendance à Montréal et travaille également comme auteur scénique, animateur-médiateur et conseiller dramaturgique et littéraire. Il vit à Montréal.

Sonja Finck (c) Hundt Hammer Stein

Sonja Finck, née en 1978, vit comme traductrice à Berlin et à Gatineau (Canada). Après une formation de circassienne à Toulouse, elle a étudié la traduction littéraire à Düsseldorf et à Madrid. Elle traduit des romans et des pièces de théâtre du français et de l’anglais. Pour son travail, elle a été récompensée à plusieurs reprises, la dernière fois en 2019 par le Prix Eugen Helmlé pour l’ensemble de son œuvre, notamment pour ses traductions des œuvres d’Annie Ernaux. Un autre focus de son travail est la littérature travail est la littérature québécoise. Parallèlement, elle travaille comme traductrice bénévole pour SOS Humanity, et de temps en temps, elle enseigne en tant que professeure invitée à l’université de Düsseldorf, dans le cadre du cursus de traduction littéraire.

Magz Barrawasser (c) Ken Werner : Tübingen

Magz Barrawasser est une metteuse en scène de théâtre indépendante. Elle vit dans la région de la Ruhr et travaille dans tout le pays – récemment au Deutsches Nationaltheater de Weimar, au Prinz Regent Theater de Bochum, au Stadttheater de Bremerhaven et à l’ITZ de Tübingen. Elle a été socialisée en Allemagne de l’Ouest, en tant que femme blanche et depuis cette position, elle se pose de nombreuses questions sur l’avenir de la société et des structures théâtrales.
Outre la mise en scène, Magz Barrawasser milite dans la politique culturelle au sein de différents réseaux et travaille en tant que coordinatrice d’intimité et conseillère pour des productions de film et de théâtre. Lors des répétitions pour ses propres productionds, Magz prouve sans cesse qu’au théâtre, le travail d’équipe  et la communication transparente sont les outils les plus importants d’une metteuse en scène. Ses mises en scène se caractérisent par une sensibilité pour l’actualité et un travail précis sur les personnages et reflètent les évolutions de la société.

Justus Rothländer (c) Tom Schulze

Justus Rothlaender a étudié la germanistique, l’histoire et le théâtre à l’université de Bielefeld, à la Freie Universität de Berlin et à l’université d’Helsinki, ainsi que la dramaturgie à la Hochschule für Schauspielkunst Ernst Busch. Il a été assistant dans le domaine de la dramaturgie au Théâtre national finlandais d’Helsinki, au Baltic Circle Festival et à la Schaubühne am Lehniner Platz à Berlin. En tant que dramaturge indépendant, il a travaillé pour le festival international Nordwind ainsi qu’à la Schaubude de Berlin, au Neuköllner Oper et pour le Hangö Teaterträff en Finlande. De 2019 à 2022, Justus Rothlaender a travaillé comme dramaturge au Theater an der Parkaue à Berlin. Depuis la saison 2022/23, Justus Rothlaender travaille comme dramaturge au TDJW.

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