F : Le projet dans lequel vous vous trouvez actuellement est bien plus inhabituel. Dans le cadre d’un nouveau programme de résidence au Staatstheater Mainz, vous développez un projet artistique à trois, sur un pied d’égalité. Sur quoi travaillez-vous et que s’est-il passé au cours des cinq premiers jours de travail ?
E : C’est une question extrêmement riche parce qu’elle oblige à saisir le chemin qui nous a menés jusqu’ici. C’est particulier parce que décidément, ce qui nous a animé, entre autres, au début de ce rêve de travailler ensemble, c’est : quel est le chemin qui mène d’un ressenti à une expérience et qui fait que tout ça se transforme éventuellement en langage ? Ce qu’on fait comme être humain, quand on tente de communiquer nos expériences, quand on en fait un récit ? Et dans cette relation, on s’est découvert vraiment des sensibilités communes, des interrogations partagées sur le théâtre. Ça nous a vraiment donné envie de travailler ensemble, mais dans une relation horizontale, pour penser un objet de théâtre ensemble. Et puis, on a été fascinés précisément par ce qui nous unit, qui est une sorte de relation de traduction, mais dans un sens plus large que le passage d’une langue à une autre. Il s’agit d’une traduction comme tentative de reconduire la pensée, le ressenti, vers le langage, donc vers une abstraction, et son chemin inverse, celui du langage qui cherche à rejoindre son origine, matière vivante, charnelle, dans les corps des acteurs, sur un plateau de théâtre pour une expérience sensible en partage avec des spectateurs. Hier je me suis rappelée une image, j’en ai parlé avec mes collègues et on la trouvait assez juste pour décrire ce qui est en train de se produire. C’est l’image du rhizome. Je trouve ça très intéressant que de manière dominante tous nos systèmes sont basés sur un imaginaire qui se rapporte à l’arbre, c’est à dire aux racines, à un cœur ou un noyau. Un point de départ et après une arborescence, c’est toujours ça. Et pour nous, il faut se débarrasser de cette image-là. Pour nous, c’est plutôt celle d’un rhizome où il y a toutes sortes de points de départ. Il n’y a pas quelque chose qui fait autorité, ni entre nous trois, ni même avec des acteurs qui se sont joints à nous parce que le processus de décision est complètement infusé par la personnalité des acteurs, leur regard sur leur expérience en répétition. Et ça fait en sorte qu’il y a une espèce de croissance chaotique qui est issue d’une multitude de points de départ. Mais toujours basé sur la recherche de comment rendre une expérience vivante incarnée sur scène et vécue de concert avec les éventuels spectateurs. Ça c’est important.
K : Je ne peux que confirmer ça. Il y a certes des points de départ – nous travaillons par exemple avec le livre Mourir en été de Zsuzsa Bánk en allemand et dans la traduction française d’Olivier Mannoni – et ça nous donne une impulsion dans une certaine direction, mais parfois celle-ci change soudainement. Par exemple, un passage de Mourir en été rappelle un passage du livre La concordance des temps d’Evelyne. Dans Mourir en été, nous avons un personnage qui s’éloigne de la berge d’un lac en nageant, décrit du point de vue du nageur. Et chez Evelyne, on trouve une image similaire du point de vue de ceux qui sont laissés derrière. Une fois, il s’agit de liberté et une fois de peur. C’est passionnant de voir comment, grâce à une telle découverte, tout peut à nouveau prendre une nouvelle direction. Exactement comme pour les racines rhizomatiques du gingembre, où l’on finit par ne plus savoir où exactement se trouve le point de départ.
Parfois, j’arrive aux répétitions avec une idée de mise en scène, mais nous nous rendons compte qu’elle est trop artificielle. Alors on laisse libre cours à la créativité des nombreux cerveaux sur scène et quelque chose de plus grand, de meilleur, de plus vaste voit le jour. Et je trouve cela très, très beau, que le collectif soit plus créatif que moi.
G : Moi, ça fait très longtemps que je travaille également en tant que dramaturge de danse. Et je connais cette sorte de liberté de la compagnie avec laquelle je travaille. Jusqu’ici, je ne l’ai expérimentée pratiquement que dans la danse. Il y a des exceptions : en France, j’avais la chance de travailler et faire des études avec le metteur en scène Jean-François Peyret qui avait une approche assez similaire. J’ai toujours aimé ça et ça m’a souvent manqué dans le théâtre institutionnel. Donc, je suis ravie de pouvoir travailler comme ça ici.
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