Cette attitude m’a par ailleurs conduit à adopter davantage les techniques propres à la traduction et à les traduire concrètement dans les choix esthétiques de mon œuvre. C’est ainsi que j’ai eu l’idée de proposer donc à Nina de garder le titre en français et de ne pas le traduire en allemand, mais plutôt d’appeler la pièce en allemand : Der Titel ist frei übersetzbar[4] (Le titre peut être librement traduit). Je n’aurais jamais pensé à ce titre que je trouve assez ludique, curieux et drôle à la fois si je n’étais pas confrontée à la question de la traduction et de la réception de l’original dans une langue étrangère. L’idée m’est venu d’une pratique assez courante surtout sur le marché international du cinéma, mais aussi le marché international du livre, lorsque les producteur.ice.s ou les éditeur.ice.s décident pour des raisons de marketing de renommer les films ou les livres traduits d’une autre langue jugeant que les nouveaux titres pourraient être plus attractifs pour le grand public et les lecteurs locaux.
Mais plus récemment et dans le sillage de mouvements de protestation transnationaux tels que Black Lives Matter, la rebaptisation et la retraduction de certaines œuvres d’art a pris une autre dimension que certains qualifient d’éthique et d’autres de politique. C’est ainsi par exemple, qu’en 2020, le roman policier Dix Petits Nègres d’Agatha Christie (publié en novembre 1939 au Royaume-Uni) a été retraduit en français et renommé par le titre : Ils étaient dix. La retraduction a surtout permis de remplacer le terme « nègre » répété 74 fois dans le récit par le terme « soldat ».
En outre, j’ai choisi pour mes personnages des noms propres qui reflètent les jeux de mots et de prononciation, mais aussi les enjeux de domination qui se cachent derrière chaque traduction et derrière chaque politique linguistique. Un nom propre peut « résumer à lui seul toutes les batailles linguistiques entre deux cultures », affirme le personnage nommé Farah Roswitha Boumaza. Car il ne faut jamais l’oublier, la langue est un terrain de guerre. C’est ainsi que : « sous prétexte d’harmonisation linguistique et culturelle, le colonisateur français avait déformé les noms des Algériens et les a obligés à porter des noms vulgaires, offensifs, humiliants, obscènes et injurieux. Des noms qui renvoient à des parties taboues du corps, à des excréments, ou qui font référence à des animaux. Des noms comme «Kbir Ras» (grosse tête), «Boukhenouna» (celui qui possède des Crottes de nez), «Boukelba» (celui qui possède un chien), ou «Boumaza» (l’homme à la chèvre), mon nom».
Enfin, la traduction des noms propres de certains personnages a donné des scènes comiques. C’est le cas, lorsque le personnage d’un immigré syrien en Allemagne nommé Rabih Halal en faisant la cour d’une jeune femme allemande sur un quai de gare sans maîtriser la langue allemande ni la langue anglaise, lui lance avec enthousiasme qu’il s’appelle Rabih et que cela signifie « I’m the spring » ! Dans une autre scène, Rabih Halal se fait appeler « Rabbi Islam-konform » par Monsieur de la Chevalerie l’hôte du Congrès des Mal compris qui se fait à son tour appelé « Herr Schakal » ! La scène se transforme ainsi en une sorte de laboratoire de google translate dramatique où les contre-sens augmentés par les fausses prononciations creusent de nouvelles failles linguistiques et sémantiques. Ce qui fait émerger de nouveaux mots-concepts comme la « Zusammenkeit » ou l’art d’être ensemble en s’ouvrant vers l’horizon d’un autre « soi », d’un autre monde. Un art typiquement connu par les amateur.ice.s, les défenseur.se.s et les praticien.ne.s de la traduction.
[1] À ce sujet, il est possible de consulter cette interview avec le traducteur en français de Harry Potter : Jean-François Ménard qui explique ses choix et l’intention derrière son choix de traduire certains noms propres du récit et de garder d’autres dans la langue originale qui est l’anglais : https://www.youtube.com/watch?v=RGRV54ahsWA
[2] Exemple : l’article de Wael Abd El-fattah (en Arabe) : https://www.medinaportal.com/sensorship-tranlation/?fbclid=IwAR1FhsqLJ-MEcgzkiRwCTDs0h30CO6yapx65f7p10q3yTHhkeR47gt0nNBQ
[3] Lire l’article de Ahmad Farouk (en Arabe) : https://raseef22.net/article/1083631-%D8%AA%D8%B1%D8%AC%D9%85%D8%A9-%D8%AE%D8%A7%D9%84%D9%8A%D8%A9-%D9%85%D9%86-%D8%A7%D9%84%D9%83%D8%AD%D9%88%D9%84-%D8%AA%D9%82%D8%B1%D9%8A%D8%A8%D8%A7-%D8%B9%D9%86-%D8%B9%D9%8A%D9%86-%D8%A7%D9%84%D8%B1%D9%82%D9%8A%D8%A8-%D8%A7%D9%84%D8%B3%D8%A7%D9%87%D8%B1%D8%A9-%D9%81%D9%8A-%D9%85%D8%B4%D8%B1%D9%88%D8%B9-%D9%83%D9%84%D9%85%D8%A9?utm_content=buffer71f0d&utm_medium=social&utm_source=facebook.com&utm_campaign=raseef22_page&fbclid=IwAR1AfhCB2kUzsw3fF16glyNwXFWJU5HY895UcSTkHGvEBqc-PxicMaw0HnY
[4] Plus d’information sur la production ici : https://boatpeopleprojekt.de/programm/stuecke-archiv/der-titel-ist-frei-uebersetzbar
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