Mathieu Bertholet parle de ses projets pour le théâtre Neumarkt à Zurich «Un Suisse sur quatre n’est pas Suisse»

Scénographie de la pièce «Edmée» d’Antoinette Rychner, mise en scène de Florence Minder et Julien Jaillot (Photo : Mélanie Groley)

Depuis 2015, Mathieu Bertholet, homme de théâtre bilingue, dirige le théâtre Poche/GVE à Genève et a fait de cette petite maison une adresse importante pour la dramaturgie contemporaine. La saison prochaine, il osera franchir le Röstigraben et prendra la direction du Neumarkt de Zurich. L’auteur, metteur en scène et traducteur s’est entretenu avec Frank Weigand sur les différences de système entre la Suisse romande et la Suisse alémanique, la diversité dans une République alpine plutôt conservatrice, les processus de démocratisation au théâtre, les langues nationales officielles et non-officielles et ses projets pour Zurich.

 

 

Frank Weigand: Dans un an et demi, en septembre 2025, tu vas prendre la direction du théâtre Neumarkt à Zurich. A ce moment-là, tu auras passé exactement 10 ans à la direction du Poche à Genève auquel tu as essayé de donner une nouvelle ligne. Tu as fait une programmation essentiellement axée sur le théâtre contemporain, d’auteurices vivantes. Et tu as essayé aussi d’importer l‘idée de l’Ensemble, d’une troupe de comédien-nes permanent-es, en Suisse romande. Quel est le bilan que tu tires de cette expérience?

Matheu Bertholet: On a créé un système qui était la meilleure réponse à toutes les contraintes qu’il y avait en Suisse romande. Étant donné le niveau de salaire, le niveau de subvention qu’on avait, on a dû inventer un type d’ensemble qui n’est pas l’ensemble à la Suisse allemande ou à l’allemande. Les gens ne sont pas engagés à l’année, ils ont un contrat qui est très précisément calculé sur le nombre de spectacles qu‘ils vont faire, la durée des répétitions, et leur contrat débute le jour où ils commencent à apprendre le texte et se termine à la dernière représentation. On a passé beaucoup de temps à mettre ça en place. On s’est obligé à calculer combien de temps ça représente, une création. Combien de temps de travail, combien d’investissement personnel. Combien de temps de repos il faut à un acteur entre deux spectacles. Toutes ces choses qui sont peut-être évidentes dans un Stadttheater, parce qu’on le fait depuis longtemps, mais en même temps, je commence à comprendre que dans les Stadttheater, on le fait depuis si longtemps que du coup on ne l’a jamais questionné et que ça peut aussi poser problème.

L’ensemble du Poche GVE pour la saison 2023/24 (Photo : Chloë Cohen)

Je crois qu’on a atteint un sommet de ce qu’on pouvait faire comme ensemble dans un contexte suisse-romand. On l’a assez bien réussi pendant les saisons qui étaient directement tributaires du Covid. D’une certaine manière, le Covid nous a donné raison. On a démontré que le système de troupe permanente et de répertoire était le système le plus résilient. On était les seuls à répondre à la question de la précarité des artistes, de la durabilité de l’emploi. Ça nous a rendu extrêmement flexible. On a dû licencier personne, on a pu aller au bout des contrats de tout le monde. On a pu réaliser tous les spectacles qu’on avait prévus de monter.

 

En dehors de la pandémie et des défis structurels, quel était le plus grand problème de cette première direction de théâtre?

Au Poche, il y avait une hyperpersonnalisation autour de moi, parce que j’arrivais comme le révolutionnaire, donc évidemment c’est moi qui portais la révolution, mais ce n’est pas moi qui prenais toutes les décisons. Tout le monde de l’extérieur me voyait comme un dictateur qui faisait tous les choix, pourtant la porgrammation était faite par un comité de lecture. C’est lui qui faisait la plus grande partie des choix des textes qu’on présentait. Et ensuite il y avait un collectif, j’ai beaucoup travaillé avec notre artiste associée Manon Krüttli, à la réflexion sur qui sont les metteur-es en scène qu’on a programmé-ées.

Et puis dans les dernières saisons, on a carrément eu un comité de sélection pour les acteur-ices, qui était constitué de sept spectateurs et spectatrices. Quasiment aucune des décisions réellement importants de la programmation je l’ai prise seul, mais il y avait cette espèce d’hyperpersonnalisation qui pour moi était assez négative. Donc ça c’est quelque chose qui m’interroge beaucoup, comment dépersonnaliser ces choix, donc réfléchir comment on peut faire comprendre que les décisions sont prises collectivement, qu’est-ce que ça change  ou en tout cas qui les représente?

Mathieu Bertholet et son équipe lors de la présentation de la saison 2021/22 (Photo : Samuel Rubio)

Quelles sont les choses que tu voudrais améliorer maintenant au Neumarkt?

Ce qu’il y aurait à améliorer au Neumarkt serait la question de la participation. Au Poche, il y avait déjà beaucoup de participation au travers du comité de lecture, mais la participation restait cantonnée à ce comité. C’est-à-dire qu’il n’y avait que le comité de lecture qui participait à une réflexion sur la programmation. C‘était plutôt des gens qui étaient au dehors du Poche et qui venaient pour le comité de lecture, et pas des gens qui étaient engagés fixement dans le Poche. Au Neumarkt, j’aimerais intégrer ces moments de participation, de réflexion à la programmation, dans le planning des gens, et que donc s’ils s’impliquent dans la programmation, ça leur enlève du temps de travail. Au Poche, on a une quinzaine de personnes dans l’équipe fixe, technique et bureau, plus une dizaine d’acteurs, donc on arrive à une vingtaine d’employés. Mais au Neumarkt, on passe à 60-70 employés, donc toutes ces questions de RH, elles vont devenir hyper importantes. Et ça me questionne beaucoup comment on fait pour déléguer ces questions de ressources humaines.

Le Poche était ma première expérience de direction, je me suis rendu compte que la moitié de ton temps ne sert qu‘à travailler sur ces questions de ressources humaines. Et que les questions artistiques ne réprésentent plus que 10% de ton temps de travail. J’aimerais plutôt passer à 50% de mon temps à réfléchir à l’artistique, c’est-à-dire à comment on peut mieux organiser un théâtre, que de passer du temps à régler des problèmes de ressources humaines, personnels ou interpersonnels.

Une scène de «Femme disparaît» de Julia Haenni, mis en scène par Guilia Rumasuglia (Photo : Chloë Cohen)

Pour toi, est-ce que ton projet du Neumarkt se situe dans la continuité des ces 10 dernières années, ou est-ce que c’est quelque chose de complètement nouveau?

Je dirais que c‘est le «next level», et même si je ne regarde pas le foot, c’est vraiment comme si j’étais passé de la 2e ligue à la 1e ligue nationale. Je prends une partie de mon équipe artistique, sauf qu‘à la différence des autres intendants, mon équipe, c’est pas forcément un groupe d’acteurs et d’actrices, c’est plutôt les entraîneurs, c’est plutôt toute l’équipe des cadres autour. Je prends surtout des auteur-ices avec moi, et je pense que je vais certainement emmener avec moi des scénographes pour réfléchir à la question de la durabilité de la scénographie.

Je vais emmener des metteur-es en scène, des assistantes qui ont travaillé avec nous au Poche, parce que beaucoup de ces assistantes au Poche sont bilingues. C’est souvent des romandes qui ont aussi fait leurs études à Berlin ou à Zurich, et puis qui ont déjà travaillé à Zurich. C’est tout ce cadre «d’entraînement» que je veux emporter avec moi, pas trop des concepts en fait, plutôt des gens.

Mathieu Bertholet et l’ensemble de la saison 2022/23 (Photo : Carole Parodi)

A Genève, tu as implémenté des éléments du Stadttheater à l’allemande. Quels sont les éléments génevois que tu emmèneras à Zurich?

Par rapport à la dramaturgie, je vais essayer de bien différencier la production de la programmation.  Au Poche, on a beaucoup délocalisé la question de la «Produktionsdramaturgie» sur les assistantes. C’est-à-dire qu’en faisant le choix d’assistantes qui dans la majorité des cas étaient des jeunes femmes qui sortaient d’une formation de mise en scène, donc qui avaient un background à la fois sur la question de la mise en scène et d’une bonne lecture de l’écriture, des qualités qu’il faut pour la «Produktionsdramaturgie», on a délégué beaucoup de ce travail à ces personnes-là.

Donc ces assistantes vont prendre une part des postes fixes de dramaturgie pour être des assistantes à la mise en scène qui vont suivre toute la saison et qui vont se relayer, pour qu’il y ait des liens très clairs entre les productions. J’aimerais qu’il y ait beaucoup de liens, même si c’est les textes n’ont rien avoir les uns avec les autres. Comme on réduit la scénographie, comme on réduit beaucoup d’autres choses, il y a forcément des liens qui vont se créer. J’aime aussi beaucoup qu’il y ait quelqu’un qui regarde le parcours que fait un acteur ou une actrice pendant une saison passant d’un spectacle à l’autre, et du coup que ce soit les assistantes qui suivent ces parcours-là et qui en assurent ll’intelligence. Il y aura certainement quand même un ou une dramaturgie qui sera engagée, mais je préfère que ce soit un auteur ou une autrice qui va prendre plus en charge le rôle de la «literarische Dramaturgie», en même temps qu’elle va rédiger les textes autour des spectacles.

Et tout ce qui concerne la programmation devrait être porté par un comité, c’est-à-dire qu’il va y avoir à la fois le «Leserat» qui va faire le travail de la recherche des textes ou de la recherche des sujets. Au Poche, c’était clairement les écrits contemporains, des auteur-ices contemporain-es. Au Neumarkt, on peut être plus ouvert là-dessus. On pourrait tout à fait choisir un sujet et confier ce sujet à un auteur-ice et passer potentiellement un «Stückauftrag», même si j’aimerais limiter les «Stückaufträge» au maximum parce que dans cette idée de «Nachhaltigkeit», de durabilité, j’aimerais éviter la course à la «Uraufführung» . Pourquoi quelque chose qui a super bien marché à Leipzig, on ne pourrait pas le reprendre au Neumarkt? De sortir de cette course à la Uraufführung, je pense ça calme beaucoup. Dans ce cas, le comité de lecture peut aussi choisir des textes plus anciens, puis  réfléchir à quelles sont les thématiques importantes à Zurich.

Et dans un deuxième temps, il y aura un «Ensemble-Rat», composé des acteurs, des actrices, des artistes invité-es, des gens des bureaux, des gens de la technique, des spectatrices qui, ensemble, vont faire le choix, à la fois des acteurs et des actrices, qui vont rentrer dans l’ensemble la saison suivante, des metteurs en scène et des metteuses en scène. Et donc une grande partie du travail de programmation va être porté par des comités. C’est pour cela qu’on va essayer de faire venir aussi des auteurs et des autrices, dans les différents «Räte».

Une scène de «Mademoiselle Agnès» de Rebekka Kricheldorf, mise en scène de Florence Minder et Julien Jaillot (Photo : Samuel Rubio)

Un aspect de votre programmation au Poche était de faire découvrir beaucoup de dramaturgies allemandes, germanophones, à un public francophone. Est-ce que c’était un choix conscient?

Le comité qu’on a réussi à constituer était très sensible à ces écritures. Je pense qu‘on a couvert vraiment à peu près tous les aspects d’une certaine dramaturgie germanophone, d‘une écriture très poétique et hyper déconstruite comme celle de Katja Brunner, une écriture hyper politique comme celle de Wolfram Höll et une écriture comique concrète comme celle de Rebekka Kricheldorf. Les écritures germanophones sont beaucoup traduites, donc il y avait beaucoup de textes à lire, un très grand choix.

On lisait beaucoup de textes français ou francophones, mais qui étaient souvent plutôt des tentatives, des tentatives poétiques un peu vaines, vides et puis d’autres textes qui étaient uniquement politiques, qui du coup n‘avaient plus aucune forme. Ça ne nous a moins enthousiasmés je pense, les écritures francophones ou françaises. On a aussi eu pas mal d’écritures canadiennes aussi, qui ont une étrangeté qui est toujours assez jouissive. Dans les écritures françaises on a quand même mis en avant des auteurs francophones qu’on a été parmis les premiers à jouer et qui entre-temps sont devenus des shooting stars, comme Pauline Peyade et Guillaume Poix qu’on a présentés dans les premières saisons, et maintenant Marcos Caramés-Blanco avec «Trigger-Warning». Je trouve qu’on a toujours été très pointus sur nos choix.

Mais je dirais pas qu’on les a «fait découvrir». On les a simplement programmés parce que «faire découvrir» ça veut dire que grâce à nous c’est devenu des énormes stars, ce qui n‘est pas le cas. Le Poche reste un endroit très petit dans une très petite ville, et en plus complètement en dehors des réseaux français. Comme la France est totalement centralisée et parisienne et que nous on n’a jamais eu l’ambition d’aller à Paris, on s’est mis hors-jeu. Si tu refuses deux trois fois de faire de l’échangisme culturel, t’es complètement hors des sentiers battus, ce qui ne sera pas le cas au Neumarkt, heureusement, parce que les réseaux sont complètement différents, le théâtre plus local, pour une cité.

Une scène de «Trigger-Warning» de Marcos Caramés-Blanco, mie en scène par Isis Fahmy (Photo : Carole Parodi)

Est-ce que c’était pour ça que vous avez surtout présenté des auteurs français qui a l’époque n’étaient pas encore montés en France?

J’ai connu tous ces auteur-ices quand ils étaient encore à l’école, donc c’est la chance de ma vie d’avant, si tu veux. Au Poche j’ai emmené ma vie d’avant qui était l’ENSATT. Au Neumarkt, je vais emmener ma vie d’avant qui est le Poche. Donc si tu veux, de la même manière que diriger le Poche était juste la prolongation d’avoir co-dirigé l’ENSATT avec Enzo Corman, le Neumarkt sera la prolongation de mon travail au Poche. C’est normal, on emmène son carnet d’adresse, on emmène son cercle de connaissances. Je vais emmener Guillaume Poix et Pauline Peyrade au Neumarkt. Je pense que «Soudain Romy Schneider» de Guillaume Poix peut tout à fait avoir sa place au Neumarkt.

Ma première volonté c’est quand même de faire connaître des auteurs francophones aux zurichois et ensuite les autres, et ça veut dire que la traduction elle aura une place primordiale dans tout ça. Le projet sera de décentrer le Neumarkt, enfin au contraire, de remettre au centre le Neumarkt. Pour le moment, le Neumarkt c’est un théâtre périphérique sur la zone germanophone Autriche- Allemagne-Suisse allemande, mais si on retourne la perspective, et on se tourne vers la suisse romande, vers la francophonie,  tout d’un coup, le Neumarkt, il se retrouve au milieu de l’Europe et plus seulement à la périphérie de la germanophonie.

Une scène d’Edmée» d’Antoinette Rychner, mise en scène de Florence Minder et Julien Jaillot (Photo : Mélanie Groley)

La direction du Neumarkt te fera traverser le fameux «Röstigraben» et ton travail se fera désormais en allemand et plus en français. Qu’est-ce que ce changement de langue va changer dans la direction de ton travail?

Historiquement, le Neumarkt est un théâtre hyper impliqué politiquement dans la vie de la cité. La réflexion sur les langues est différente ici. J’ai mis cette question du passage d’une langue à l’autre au cœur de mon projet pour Zurich. On va jouer dans les langues nationales et on va s’interroger sur qu’est-ce que ça veut dire «les langues nationales» aujourd’hui en Suisse. La volonté c’est de mettre en avant ce qui fait la particularité de la Suisse, le fait d’être un pays vraiment multilingue.

C’est quand même le seul pays en Europe – peut-être avec la Belgique un tout petit peu – où il y a deux systèmes de création théâtrale dans le même pays, deux manières de faire du théâtre très très différentes, mais qui vivent dans un même système d’assurance sociale et d’organisation du travail, et ça c’est hyper intéressant. Ce n‘est pas comme la France qui produit du théâtre avec le système de l’intermittence, et l’Allemagne qui a des Stadtheater avec un autre système social – nous on a le même système d’assurance sociale, les mêmes règles du travail et pourtant on a deux manières de fabriquer du théâtre complètement différentes.

La Suisse n’est pas la France, on n’a pas un passé colonial proprement dit. On a un passé colonial capitaliste, on n’a pas un passé de colonisateur, c’est-à-dire qu’on n’a pas des gens qui viennent de nos anciennes colonies dans notre pays. Mais par contre, on a une énorme communauté migrante. Dans les années 50, c’étaient  les Italiens, dans les années 60, 70 les Portugais et les Espagnols, dans les années 90, sont arrivés  les gens issus de l’Ex-Yougoslavie et maintenant,  les Syriens, entre autres. Et je me suis demandé comment on représente ces minorités-là qui sont les nôtres, les minorités qui font la Suisse. Pourquoi on ne les représente pas au théâtre? Peut-être parce qu‘on est tellement obnubilé par l’image francophone et l’image allemande de ce qu’est l’immigration, le post-colonialisme. On ne s‘est jamais posé la question réellement où sont les secundos italiens, où sont les secundos portugais, où sont les secondos espagnols et les syriens et les afghanes sur nos plateaux de théâtre. Et moi c’est une question que je veux mettre en avant.

Je veux jouer dans nos langues nationales officielles, mais je veux aussi m’interroger sur qu’est-ce que ces langues nationales inofficielles et de faire des échanges à ces endroits-là et d’essayer de faire venir dans le «Leserat» des gens qui sont issus de ces communautés-là. Et peut-être chaque saison, on pourrait mettre en avant une de ces minorités en représentant un ou deux textes ou un ou deux -ices. En Suisse, une personne sur quatre est issue de l’immigration, donc c’est énorme. Un Suisse sur quatre n’est pas Suisse. Moi ça m’intéresse parce que tous ces gens ont certainement des manières différentes de voir la Suisse et de parler de la Suisse. Et mon ambition est de les faire venir au Neumarkt.

Une scène de «Waste» de Guillaume Poix, mise en scène de Johanny Bert (Photo : Samuel Rubio)

Récemment, j’ai retrouvé un vieux texte pour Théâtre Public dans lequel tu disais que la traduction était pour toi un moyen d’échapper à ton quotidien de directeur. Pour le Poche tu as traduit beaucoup de textes allemands et germanophones en français. Est-ce que tu vas continuer à traduire du théâtre?

Oui j’adore traduire. Comme je dis déjà trop souvent : c’est mon hobby. Ça ne veut absolument pas dire que je le prends à la légère, mais c’est vraiment un échappatoire et une bouffée de liberté créative que je n’ai pas forcément en tant que directeur de théâtre. Par contre, en totale honnêteté, je pense que je ne peux pas traduire vers l’allemand, je peux uniquement traduire de l’allemand au français en ayant l’exigence qu’il faut pour le français, mais je n’ai pas la rigueur,  qu’il faut pour l’allemand donc je peux pas faire le chemin inverse. Potentiellement je vais continuer à traduire mais dans un seul sens. Je vais jamais me retrouver à traduire du français vers l’allemand. J’ai fait une fois la tentative et c’était catastrophique. Ça ne va pas du tout. Il faudrait que je trouve un tandem. Dans un monde idéal tout le monde travaillerait en tandem.

Peut-être qu’on va mettre en place des tandems au Neumarkt, on va certainement continuer de parler de la question. Si je veux travailler sur des langues qui sont peut-être moins évidentes, comme l’arabe syrien ou les langues afghanes, je pense qu‘il faut réfléchir à un dispositif qu’on pourrait mettre en place, quelque chose qui va générer des rencontres spontanées entre des gens qui sont les réceptacles de l’allemand et qui vont trouver quelqu’un qui vient d’Afghanistan, et puis créer ces tandems-là pour faire du Neumarkt un vrai lieu d’échanges et de rencontres à partir de ces langues, moins vues et moins connues qui font la Suisse.

Une scène de «Les Morb(y)des» du dramaturge québécois Sébastien David, mise en scène de Manon Krüttli (Photo : Samuel Rubio)

Quel est pour toi l’aspect le plus important de ta première saison à Zurich?

Je pense que la grande différence d’avec le Poche c’est qu’on a un lieu qui aura réellement un ensemble, et la thématique principale c’est de remettre l’ensemble au coeur de ce théâtre. C’est l’ensemble qui va être le porteur d’identité du théâtre, ce qui peut aussi enlever cette hyper personification qui était liée à moi. Puisque c’était moi la personne fixe du Poche. Là c’est l’ensemble qui va être la personne fixe, mais la personne multimorphe avec beaucoup de visages différents. C’est l’ensemble qui va être le point d’accroche pour le public par rapport à ce théâtre et du coup ça me permet d’être beaucoup plus libre sur les thématiques, les textes  et les sujets qui arrivent au plateau.

Je pourrais évidemment te faire liste des gens que moi j’aurais envie de programmer, mais du coup ça serait aller à l’encontre de ce que je dis être un programme participatif et démocratique. J’ai évidemment dû proposer une programmation hypothétique pour ma candidature, mais j’espère qu’elle ne se réalisera pas. Même s’il y a des choses auxquelles je tiens énormément et des participations et des partenariats et des gens avec qui j’avais envie de travailler. Je pense que peut-être la saison qui sera la plus proche de moi, ce sera forcément la première parce que tous les comités n’auront pas encore été mis en place. Mais j’aimerais autant que possible que même dans cette première saison, il y ait déjà de la participation.

 

A l’origine, tu n’es pas seulement directeur de théâtre et traducteur, mais aussi metteur en scène et auteur. Est-ce que tu vas écrire encore ?

Non je pense pas. Je n’écrirai toujours pas, de la même manière que je ne l’ai pas fait les dix dernières années. C’est impossible en ce moment, surtout pas dans les deux ou trois années qui viennent. Ça aurait été mon projet si je n’avais pas été nommé au Neumarkt, je serais redevenu un auteur de théâtre. Plus tard peut-être, on verra.

 

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Mathieu Bertholet et son chien Nietzsche (Photo : Chloë Cohen)

Formé à l’Université des Arts de Berlin, directeur artistique et metteur en scène de la compagnie MuFuThe, auteur en résidence au GRÜ/ Transthéâtre puis à La Comédie de Genève, danseur sous la direction de Cindy Van Acker et Foofwa D’Imobilité, ou encore auteur de pièces publiées chez Actes Sud-Papier et traducteur, Mathieu Bertholet croise les pratiques et développe un mode d’expression singulier, non cloisonné et exigeant. Nommé directeur du POCHE /GVE en 2015, il est également co-instigateur du master de mise en scène à La Manufacture de Lausanne, co-responsable du département Écriture Dramatique de l’ENSATT à Lyon et enseignant à l’Université belge de Louvain.
En 2021, Mathieu Bertolet remporte un Prix suisse des arts de la scène pour son travail de passeur entre les langues et les formes, entre les textes et les spectatrices. À partir de septembre 2025, il sera le premier Romand à diriger un théâtre en Suisse Allemande : en prenant l’intendance du NEUmarkt à Zurich, il fera passer les langues par-dessus la barrière de röstis et mélangera les formes de théâtres.

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